Entretien avec Evelyne FASSINOU, Membre du Comité Exécutif de la FANAF

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Entretien avec Evelyne FASSINOU, Membre du Comité Exécutif de la FANAF

Dans le cadre de son engagement en faveur de l’assurance inclusive, le GIIF (Global Index Insurance Facility) s’est entretenu avec Evelyne FASSINOU, Membre du Comité Exécutif de la FANAF, à propos de l’étude conjointe FANAF–IFC récemment lancée. Nous la remercions chaleureusement pour sa collaboration et pour avoir partagé ses perspectives éclairantes, qui ont rendu possible cet entretien.

1. Evelyne, félicitations pour le lancement récent de l’étude conjointe FANAF–IFC. Pour commencer, pourriez-vous nous expliquer ce qui a inspiré cette collaboration ?

Evelyne Fassinou :
Lorsque Rosalie Logon et moi-même avons été élues au bureau exécutif de la FANAF en février 2020, nous avons rapidement ressenti la nécessité de dresser un état des lieux de la situation professionnelle des femmes dans le secteur de l’assurance en zone FANAF. Pourquoi ? Parce que nos parcours respectifs nous avaient déjà permis de constater qu'à mesure que l’on gravissait les échelons hiérarchiques dans les compagnies d’assurance et les organisations du secteur, la présence féminine diminuait drastiquement. Il nous arrivait souvent d’être les seules femmes dans certaines sphères professionnelles.

Nous avons souhaité que notre mandat à la FANAF contribue concrètement à améliorer cette situation. Pour agir efficacement, il nous fallait disposer de données solides, issues d'une étude rigoureuse menée par des experts.

C’est ainsi qu’est née la collaboration avec IFC, qui, dès notre première rencontre avec l’équipe en charge de la question du genre, a manifesté un vif intérêt pour le sujet. IFC a non seulement financé l’étude, confiée à un cabinet international reconnu, mais a également assuré un accompagnement étroit tout au long du projet jusqu'à sa finalisation.

Je profite de cette occasion pour remercier chaleureusement l’équipe de l'IFC ainsi que le cabinet chargé de l’étude pour leur engagement total et leur professionnalisme.

2. Pourquoi est-ce le bon moment pour placer les femmes au cœur de la croissance durable du secteur de l’assurance ?

Evelyne Fassinou :
Je dirais qu’il est temps et qu’il y a urgence !
Les taux de pénétration de l’assurance au sein de la zone FANAF sont parmi les plus bas du monde. Depuis des années, le secteur de l’assurance en Afrique cherche à stimuler sa croissance, alors même qu’il existe des segments de clientèle largement sous-exploités.

Les femmes constituent un levier de croissance à fort potentiel. Elles représentent plus de 50 % de la population et près de la moitié de la population active. Cependant, leurs besoins spécifiques sont encore peu pris en compte dans les stratégies commerciales. Approcher la clientèle féminine, c’est ouvrir de nouvelles perspectives de développement.

Par ailleurs, le secteur des assurances en Afrique fait face à de nombreux défis : nouvelles attentes des clients, gestion des risques de plus en plus complexes… Pour y répondre, les entreprises doivent s’appuyer sur des équipes dirigeantes mixtes, capables d’apporter des visions complémentaires et innovantes.
Ignorer le potentiel des femmes, c’est se priver de la moitié du marché et de la moitié du talent disponible.

3. L’étude présente un argument solide en faveur des femmes comme levier stratégique de croissance dans la zone FANAF. Qu’est-ce qui vous a le plus surprise dans les données ou les enseignements issus de cette recherche ?

Evelyne Fassinou :
Ce qui m’a le plus frappée, c’est l'uniformité de la situation des femmes dans le secteur de l’assurance à travers les différents pays analysés. Aucun pays ne se détache véritablement avec un avantage notable.

En revanche, une belle surprise est venue de certains groupes panafricains d’assurance, qui affichent des taux de présence féminine dans leurs instances de décision largement supérieurs à la moyenne. Cela prouve que lorsque la volonté existe au plus haut niveau, des résultats concrets sont possibles.

Autre constat positif : les groupes de paroles organisés avec des femmes professionnelles de l’assurance dans six pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont été extrêmement inspirants. Nous avons rencontré des femmes lucides sur les défis, mais loin d'être dans la plainte. Elles sont déterminées et déjà actrices du changement.

4. Une des conclusions clés de l’étude est la sous-représentation des femmes aux postes de direction dans le secteur. Selon vous, quels sont les principaux freins à leur avancement ? Et quelles sont les trois actions prioritaires que les régulateurs et les compagnies d’assurance devraient entreprendre pour commencer à lever ces obstacles ?

Evelyne Fassinou :
Les freins sont multiples :

  • Culturels : Dans de nombreux pays de la zone FANAF, la société continue de valoriser la femme avant tout à travers son rôle d’épouse et de mère, au détriment du rôle professionnel et économique.
  • Réglementaires : Il manque une réglementation locale et sectorielle sur l’égalité des genres dans plusieurs pays, ou bien elle n’est pas appliquée.
  • Structurels : Les femmes sont sous-représentées dans les métiers techniques ou à forte responsabilité, qui constituent le vivier pour les postes de direction.
  • Historiques : Le secteur est historiquement dominé par les hommes et reste difficile à déverrouiller.

Trois actions prioritaires s’imposent :

  1. Formaliser des politiques RH de genre avec des objectifs chiffrés.
  2. Mettre en place des programmes de développement de talents féminins.
  3. Adopter des dispositifs clairs de lutte contre les discriminations fondées sur le genre.

5. Compte tenu du rôle central de GIIF dans l’assurance agricole et climatique inclusive, comment percevez-vous l’application des résultats de l’étude dans ces domaines ?

Evelyne Fassinou :
Environ 62 % des femmes actives en Afrique travaillent dans le secteur agricole. Pourtant, elles sont très peu prises en compte par les assureurs. Les produits d’assurance actuels ne tiennent que rarement compte de leurs besoins spécifiques.

Le GIIF a un rôle catalyseur à jouer. Il peut accompagner les assureurs partenaires dans une approche plus inclusive, en co-développant des produits avec des femmes agricultrices et en mobilisant des réseaux féminins pour la distribution.

Je salue les projets de la Banque qui vont dans ce sens, mais ils restent encore trop ponctuels et localisés. Il faudrait une véritable stratégie de déploiement à l’échelle de la zone FANAF.

6. La micro-assurance et les innovations numériques ouvrent l’accès à l’assurance, en particulier pour les femmes en zones rurales. Quelles opportunités voyez-vous pour que les insurtechs deviennent plus sensibles au genre ?

Evelyne Fassinou :
La micro-assurance et l’innovation numérique peuvent accélérer l’inclusion assurantielle des femmes. Les insurtechs apportent un souffle nouveau, mais une collaboration avec les assureurs agréés est indispensable.

Deux grandes opportunités se dessinent :

  • Coconstruire des produits adaptés aux besoins des femmes, en combinant la flexibilité des insurtechs avec l’expertise technique des assureurs.
  • Créer des modèles de distribution hybrides où les insurtechs offrent des canaux innovants et accessibles, et les assureurs assurent la fiabilité et la conformité.

7. L’étude met en évidence des lacunes réglementaires et la nécessité de réformes internes. Quelles mesures recommanderiez-vous ?

Evelyne Fassinou :
Les États, régulateurs et entreprises doivent agir ensemble.

Pour les États :

  • Établir un cadre légal clair sur l’égalité de genre et veiller à son application.

Pour les régulateurs :

  • Imposer la parité dans les instances de gouvernance.
  • Instaurer un suivi des politiques de genre avec reporting sexué sur l’emploi, les rémunérations et l’accès aux postes décisionnels.
  • Favoriser l’agrément de produits orientés genre.

Pour les entreprises :

  • Formaliser des politiques RH inclusives.
  • Mettre en place des programmes de leadership féminin.
  • Lutter activement contre toutes formes de discrimination.

8. Comment la FANAF envisage-t-elle d’impliquer les acteurs régionaux, les partenaires de développement et le secteur privé dans la mise en œuvre des conclusions de l’étude ?

Evelyne Fassinou :
L’étude est un point de départ.

La FANAF a un rôle moteur à jouer pour fédérer les efforts autour de quatre axes :

  1. Définir une stratégie collective et visible à l’échelle de la zone FANAF.
  2. Créer un observatoire FANAF de la femme pour assurer le suivi.
  3. Impliquer les entreprises en valorisant les bonnes pratiques.
  4. Formaliser des partenariats avec des acteurs comme l’IFC, le GIIF ou la Banque mondiale pour bénéficier d’un appui technique, financier et méthodologique.

9. Enfin, quelles sont les prochaines étapes pour intégrer les enseignements de cette étude ?

Evelyne Fassinou :
Les prochaines étapes sont claires :

  • Diffuser largement l’étude auprès de tous les adhérents FANAF.
  • Organiser des ateliers avec les DG et DRH au 3e trimestre 2025.
  • Définir une stratégie avec des actions urgentes à lancer dès le 2e semestre 2025, et d’autres pour 2026.
  • Mettre en place l’Observatoire de la Femme FANAF d’ici la prochaine AG en février 2026.

Cette étude marque le début d’une collaboration continue avec l’IFC. Elle nous permet de capitaliser sur leur soutien technique et financier, ainsi que leur expertise internationale, non seulement pour faire avancer l’agenda du genre, mais aussi pour répondre à nos ambitions de développement durable du secteur assurantiel africain.